Polina Panassenko Age – La force des premiers romans publiés à l’automne 2022 est incontestable; Tenir sa langue de Polina Panassenko (éditions L’Olivier) n’échappe pas à cette règle non écrite. Dans ce récit autobiographique, la narratrice, Polina, tente de récupérer le nom russe que le gouvernement français a changé après qu’elle est devenue citoyenne, Pauline.
Le texte s’ouvre ensuite sur des questions de grammaire et de prononciation qui retracent le parcours de l’auteur de la Russie à Saint Étienne, en France, au début des années 1990. Une telle force évocatrice a suscité les questions que Diacritik a posées au jeune romancier, qui est déjà l’une des plus grandes surprises de l’année.
Je suis curieux de savoir ce qui vous a poussé à écrire une histoire sur la façon dont vous êtes passé de Polina (votre nom russe) à Pauline (votre nom français) lorsque vous êtes devenu citoyen français et naturalisé.
Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire au bureau du procureur au sujet de votre nom perdu avec une telle vigueur ? Vous écrivez : « Ce que je veux pour moi, c’est utiliser le nom que j’ai reçu à la naissance. Ne rien cacher et ne rien dissimuler ni changer quoi que ce soit à ce sujet.
Sans s’en soucier. Étant donné que l’histoire se concentre sur vous, Polina, est-ce que Tenir sa langue ressemble plus à un premier roman autobiographique ou à un récit fictif de votre vie avec une touche romantique ? Une volonté d’écrire les interlinguae et de donner à l’accent la place qu’il mérite dans l’écrit se fait d’abord sentir. L’enquête sur le nom est venue plus tard.
Pendant que je travaillais sur cette pièce, j’ai fait un effort pour récupérer mon nom de naissance, Pauline, qui avait été anglicisé pour les francophones. Je ne pense pas qu’il soit nécessaire d’utiliser votre nom de naissance comme nom de famille, mais la possibilité que vous soyez empêché de le faire m’a fait réfléchir. C’était comme si quelqu’un avait carrément rejeté le sujet sur lequel j’écrivais, une barrière linguistique.
Le mot “Polina” peut être traduit du français vers le russe avec juste le bon accent. Il peut être traduit d’une langue à l’autre simplement en changeant la façon dont il est prononcé. Cela sert de mot de passe ou de schibboleth en quelque sorte.
Malgré le fait qu’il ait carrément refusé de faire partie du roman, j’ai quand même décidé de l’incorporer dans l’histoire. C’est devenu le lieu de rencontre des personnes de langues différentes, ainsi que de ceux qui passent de la réalité à la fiction.
Le narrateur exigera le droit à une transmission ouverte et publique dans un formulaire CERFA adressé au procureur. Une soixantaine d’années plus tôt, sa grand-mère juive, Pessah (qui signifie “le passage”), avait russifié son nom en Polina.
Le nom du narrateur étant anglicisé en Pauline a entravé la communication non seulement entre les langues mais aussi entre les générations. Et elle pense que si sa famille a survécu aux pogroms, aux guerres, aux répressions et aux multiples exils, ce n’est pas à elle de continuer à changer de nom dans un pays qui se targue de liberté et de démocratie comme la France.
Tenir sa langue tourne autour de la narratrice, Polina, et sa quête pour récupérer l’utilisation de son nom de famille russe sur ses documents d’identité français au moyen d’un processus judiciaire long et arbitraire.
Plutôt qu’une simple formalité bureaucratique, cette procédure ouvre en fait deux récits : d’abord, un récit nominal qui utilise le prénom de la narratrice pour interroger son rapport à la fois au français et à sa langue maternelle.
En fait, le roman Tenir sa langue développe une réflexion nouvelle et originale sur la manière dont le pays d’accueil perçoit la langue étrangère, en l’occurrence le russe.Je suppose qu’elle a peur que je glisse dans son discours d’avocat.
Qu’il s’agisse de l’administration qui s’oppose à ce que la narratrice récupère son nom de famille russe ou de sa mère qui craint que l’exposition de sa fille au français ne lui fasse perdre sa langue maternelle, la langue étrangère est considérée comme une menace.
Comme une interprétation possible du titre, on dit à la narratrice de «tenir sa langue» dans le but de rendre son langage pluriel plus gérable. Nous demandons que les langues qui la composent gardent leurs distances les unes par rapport aux autres. Il ne devrait pas y avoir de mélange ici. Ma mémoire me rappelle un dessin que j’ai fait en cours de français peu après mon arrivée en France.
Mon croquis d’une boîte avec portes et fenêtres était accompagné de l’inscription cyrillique « матpнлик », que j’avais écrite pour un maximum de clarté (materneltchik). Une fois les dessins récupérés, le mien m’a été remis avec un point d’interrogation rouge à côté du mot cyrillique. J’ai réalisé qu’il était impossible d’avoir un élève russe dans mon école.
Une sorte de dressage devrait être fait. Plus tard, en combinant les écritures cyrillique et latine, j’ai eu du mal à comprendre pourquoi une lettre russe ne pouvait pas être comptée de la même manière qu’une lettre française, même si elles sonnent toutes les deux de la même manière. Par accident, j’ai utilisé la forme cyrillique de la lettre I («è») dans une dictée plutôt que le latin standard I .
Le je cyrillisé était interdit et compté comme une erreur. Une grave crise de confiance dans la capacité de l’institut à prodiguer des soins s’en est suivie pour moi. Je ne plaisante pas; cette dame ne sait même pas épeler I pourtant elle insiste pour qu’on l’appelle “maîtresse”. Quel scandale.